Imaginons un instant : nous sommes en l’an de grâce 1525, le 12e jour de février. Deux communautés voisines, Auriac et Saint-Rome, perpétuent la tradition du carnaval en élisant leurs délégations respectives, composées d’un abbé et de deux dignitaires. Chacune de ces délégations conduit un riche cortège de carnavaliers pour une rencontre folklorique, précédée par l’envoi d’un messager annonçant l’arrivée des manants du village.
Une certaine rivalité anime ces deux collectivités. Perché sur sa colline fortifiée, le château d’Auriac voit d’un œil jaloux le développement commercial, financier et prospère de la petite bourgade de Saint-Rome, qui s’épanouit près du Lévejac. Cette croissance rapide s’organise autour des barrys, les faubourgs nés autour des granges de l’abbaye des moines de Conques.
Comme l’a noté Henri Bousquet :
La harangue du messager traduit bien ces sentiments. Elle étale avec orgueil, et non sans brocards à l’adresse des pauvres gens d’Auriac, l’opulence de l’abbé de Saint-Rome ; elle insiste sur la qualité des gens qui lui font cortège : des chevaliers, des licenciés, des avocats, des docteurs à bonnet. Il a même un cardinal dans son lignage, accompagné comme de juste par une cardinalesse. On trouvera peut-être surprenant de voir mêler à des farces de cette nature le nom de personnages aussi respectables que des abbés ou des cardinaux. Il ne faut pas s’en étonner. Ce mélange du profane et du sacré est constant dans les sotties et les moralités du Moyen Âge. L’Église était indulgente pour les réjouissances de ses enfants ; elle leur donnait toute licence dans les jours de fête où il était permis de s’amuser. »

C’était hier, au temps ancien des troubadours dans un heureux village, solidement attaché à ses traditions festives et culturelles dont l’histoire a pu ainsi traverser les siècles. Aujourd’hui, question mœurs et coutumes, serait-il possible qu’avec l’intrusion submersive de l’Intelligence Artificielle, ces événements constitutifs d’un patrimoine finalement bien riche d’un quotidien rural ne soient fondus dans un bien fade et universel creuset.